15
Mékus et Médousa

— Quoi ? Il y a d’autres porteurs de masques ? s’écria Amos, estomaqué. Je ne suis pas le seul à devoir rétablir l’équilibre du monde ?

Pour toute réponse, Mékus sourit et fit signe à son compagnon de le suivre. Côte à côte, ils empruntèrent un petit sentier qui s’éloignait de la vallée des arches.

— D’après toi, à quoi sert la grande barrière que tu as déjà traversée pour te rendre à l’île de Freyja ?

— Elle sert à protéger les vivants du grand vide qui se trouve de l’autre côté de l’océan, répondit Amos. Enfin, c’est ce qu’on m’a appris !

— Eh bien, non ! lui révéla Mékus. Cette barrière a été créée par les dieux afin que les hommes des quatre continents qui constituent ce monde puissent ne jamais avoir de contact entre eux.

— Il existe quatre continents ? s’étonna le garçon. Quatre lieux où vivent des humains ?

— Exactement, continua l’élémental, un de ces continents représente l’élément « terre » et c’est précisément sur celui-là que tu as vu le jour. L’île de Freyja, que tu as déjà visitée, est la pointe d’un gigantesque continent d’îles qui appartient au monde aquatique. Plus au sud, c’est la terre de feu où rugissent en permanence des volcans, alors qu’à l’ouest se trouve le continent aérien, essentiellement composé de montagnes immenses.

— Je comprends… quatre éléments, quatre continents, quatre porteurs de masques ! C’est logique !

— Et pour mener à bien la mission que la Dame blanche vous a confiée, à tous les quatre, vous devrez vous rencontrer et unir vos forces pour accomplir un exploit surhumain qu’aucun mortel n’a encore réussi.

— Quel est cet exploit ?

— Je ne peux pas te le révéler, fit Mékus, mais je suis certain que vous allez trouver la solution pour libérer le monde de l’omniprésence des dieux.

— Et les autres porteurs de masques, ont-ils acquis le masque de l’éther ?

— La représentante du monde aquatique est en possession de tous ses pouvoirs et elle attend patiemment le jour de la grande rencontre, répondit Mékus. L’envoyé du continent de feu et de cendre n’arrive pas encore à atteindre en lui le chemin de l’éther. C’est un garçon bouillant qui manque de patience et qui ne prend pas le temps nécessaire pour réfléchir à sa situation. La représentante de l’air est sur la bonne voie, mais elle est très vulnérable, puisqu’il lui manque encore trois pierres de puissance de son masque de la terre. Elle doit être très prudente car, comme une libellule, le moindre choc peut la tuer d’un coup. C’est d’ailleurs ce que les dieux tentent de faire au moment où nous nous parlons. Ils ont décidé de tout faire pour éliminer cette porteuse de masques afin que votre réunion n’ait jamais lieu. Car ils savent déjà qu’ils ne peuvent plus rien contre les trois autres !

— Lolya ! Lolya est capable de créer des pierres de puissance de la terre ! s’exclama Amos qui avait son idée. Une fois sorti d’ici, j’irai moi-même lui en remettre quelques-unes !

— Je crois bien qu’elle appréciera car, pour l’instant, sa situation est périlleuse et je sais qu’elle vit cachée afin d’éviter les regards inquisiteurs des dieux. Mais, d’abord, tu dois terminer cette quête…

— J’y pense, dit Amos, il n’y a donc pas de continent qui représente l’éther ?

— Comme je te l’ai déjà dit, l’éther est la force qui unit les éléments, il s’agit d’une source infinie de puissance qui est à l’origine même de la vie.

Mékus s’arrêta et montra au porteur de masques une cascade qui coulait un peu plus loin sans le moindre bruit.

— Regarde, Amos. Il s’agit de l’énergie de la vie… Voici l’éther !

— On dirait une simple chute d’eau, répondit le garçon.

— C’est ainsi que tu la vois, mais c’est beaucoup plus que ça. C’est l’énergie même de la Dame blanche ! Sans cette force, notre monde disparaîtrait dans le néant…

— La force inépuisable dont Sartigan m’a souvent parlé, murmura Amos en se remémorant les enseignements de son maître.

— Exactement, confirma Mékus. On ne doit pas nécessairement être un porteur de masques pour atteindre cet endroit. Ce lieu est accessible à tous ceux qui accomplissent un voyage intérieur et qui n’ont pas peur de se remettre en question. Sartigan puise sa force et sa sagesse dans cette source depuis toujours.

— Mais pourquoi cette source est-elle si difficile à trouver ?

— Il y a de vieilles légendes, poursuivit Mékus, qui racontent que, dans les temps anciens, la Dame blanche avait rendu l’éther accessible à toutes ses créatures terrestres. La source rendait les humains quasi immortels et leur accordait des pouvoirs extraordinaires. Seulement, certains hommes voulurent la détourner et se l’approprier pour eux seuls. Ce fut le début de guerres sanglantes et de conflits entre les peuples. La Dame blanche décida donc de retirer l’éther du monde des vivants et chercha un endroit pour le cacher, un endroit où il serait très difficile de le retrouver. Elle pensa à l’enterrer profondément, mais elle changea vite d’idée. Un homme allait un jour creuser et, par hasard, le découvrir. Elle pensa à placer sa source d’éther au fond des mers, mais des créatures comme les merriens ou les sirènes auraient eu tôt fait de s’en emparer et de l’utiliser contre d’éventuels ennemis. Il ne restait qu’un endroit possible pour enfouir cette grandiose source d’énergie…

— Un endroit où les hommes ne penseraient jamais à la chercher, continua Amos, c’est-à-dire au plus profond d’eux. Il ne sert donc à rien d’explorer, d’escalader, de plonger et de creuser, car toute la force dont nous avons besoin pour accomplir de grandes choses se trouve en nous.

— Tu comprends vite, Amos, dit Mékus en souriant. De tous les porteurs de masques, tu es assurément le plus sage.

— Alors, quelle est la prochaine épreuve maintenant ? Il me tarde de l’accomplir !

— Les épreuves sont terminées, Amos, il ne te reste plus qu’à plonger dans l’éther !

— Mais… mais il manque encore une pierre à mon masque de l’eau, s’inquiéta le garçon. Je n’arriverai jamais à un plein contrôle de ma magie sans cela !

— J’ai laissé la pierre qui te manque derrière nous, le rassura Mékus. J’espère seulement que tes amis l’auront trouvée !

 

***

 

Malgré tous ses efforts pour essayer de semer ses poursuivants, Médousa avait une dizaine de nagas à ses trousses. Ses bonds répétés d’une colline à une autre et ses longs vols planés avaient malheureusement attiré l’attention des meilleurs chasseurs. Aussi plusieurs de leurs flèches avaient bien failli l’abattre en plein ciel. Heureusement pour la gorgone, la nuit était tombée et, son habileté à se déplacer dans le noir aidant, elle avait pu prendre un peu d’avance.

Devant l’urgence de sauver sa vie, Médousa avait oublié ses douleurs et, comme un animal traqué, elle avait appliqué toute son énergie à courir le plus rapidement possible, le plus loin possible. Ses protections en peaux de rats tenaient bien le coup et l’empêchaient de se blesser davantage sur de petits cailloux ou des rochers coupants. Hypnotisée par le rythme constant de ses pas, elle ne reconnut pas tout de suite la petite rivière vers laquelle elle se dirigeait à vive allure. Ce ne fut qu’une fois entourée de vieilles femmes qui portaient de lourds ballots de vêtements souillés de sang qu’elle comprit qu’elle était de retour chez les kannerezed-noz !

Comme si tout le poids de sa vie lui était tombé d’un coup sur les épaules, la gorgone s’écroula en sanglotant. C’en était trop ! Elle avait réussi à s’éloigner de Bhogavati, à surmonter la douleur de ses blessures, puis, à sa grande surprise, à gagner du terrain sur ses poursuivants, et tout cela pourquoi ? Pour retomber dans le même piège qu’elle avait évité de justesse à son premier passage !

— Allez ! Tuez-moi ! hurla-t-elle en frappant le sol de désespoir. Je n’en peux plus… je ne suis plus capable…

Les lavandières maudites se mirent à l’entourer lentement. Ces spectres sans pitié se réjouissaient d’avoir enfin une victime à égorger.

« C’est aujourd’hui que je meurs, pensa Médousa en pleurant toujours à chaudes larmes. Je n’aurai même pas eu le temps de dire à Béorf la moitié des choses dont j’ai rêvé pour nous deux. Je vais quitter ce monde dans la souffrance, alors que j’aurais aimé m’éteindre paisiblement en admirant la baie d’Upsgran. Je désirais faire tant de choses encore…»

Les kannerezed-noz allaient la saisir pour la déchiqueter vivante quand les chasseurs nagas débouchèrent dans la vallée. Les spectres se retournèrent alors vers les intrus et négligèrent Médousa quelques secondes. C’était juste le temps dont Borth et Tywyn avaient besoin pour étirer un bras et s’emparer de la gorgone.

Le géant avait suivi de loin la course effrénée de Médousa, mais ne voulait pas être aperçu des chasseurs nagas. Sur la pointe des pieds, il s’était approché des kannerezed-noz pour leur subtiliser la jeune créature dont ils prirent garde de ne pas croiser le regard, ainsi que Béorf le leur avait recommandé.

La gorgone se retrouva entre les doigts du géant Borth et Tywyn qui déguerpit à toute vitesse en faisant trembler la terre sous ses pas. Bien vite, les poursuivants de Médousa furent à leur tour assaillis par les lavandières en furie et ne purent donc pas continuer la chasse.

« Voilà autre chose ! songea Médousa, à bout de nerfs. Au lieu de finir déchiquetée par les kannerezed-noz, je vais être écrabouillée par un géant à deux têtes ! »

— Nous l’avons dans notre main, dit Borth à Tywyn.

— Il faut faire attention de ne pas la broyer ! ajouta Tywyn.

— Car notre nouvel ami ne serait pas content ! déclara encore Borth.

— Il ne faut pas déplaire à notre ami. Grâce à lui, nous nous portons un peu mieux…, ajouta Tywyn.

— Nous ne ressentons presque plus les effets du poison des nagas ! se réjouit Borth.

— Moi, je ne vomis plus… lança Tywyn.

— Et moi, je n’ai plus mal à la tête ! renchérit Borth.

Médousa, qui s’attendait à être avalée, d’une seconde à l’autre, par l’une des deux gigantesques bouches du géant, fut étonnée de le voir se diriger vers la lumière d’un grand feu de camp. À sa grande surprise, il la déposa délicatement tout près du feu où Béorf l’attendait ! Le gros garçon, remarquant tout de suite que sa copine n’avait plus ses lurinettes, la serra dans ses bras en prenant bien soin d’éviter de la regarder dans les yeux. Il fallut à la Gorgone une grosse minute pour comprendre qu’elle n’était plus en danger et que son cauchemar avait pris fin.

— Ma belle Médousa, tu es dans un état épouvantable…lui murmura Béorf à l’oreille. Je veillerai sur toi, tu n’as plus rien à craindre maintenant.

— Mais… je ne comprends pas… Béorf ! C’est bien toi ?! s’exclama la gorgone en savourant chaque seconde. Je suis si contente de te voir… Tu ne peux pas savoir ce qu’ils m’ont fait… J’ai été torturée dans le palais de…

— Chuuut ! lui fit le Béorite en maintenant son étreinte. Tu me raconteras tout cela plus tard… Pour l’instant, tu dois te reposer et manger un peu. J’ai réussi à capturer quelques faisans sauvages que j’ai fait griller.

— Attention à mes yeux, je n’ai plus mes lurinettes !

— Je sais, j’ai remarqué… Je te confectionnerai un capuchon lorsque nous aurons retrouvé notre matériel de voyage.

— Mes choses à moi sont dans la cité…

— Sois tranquille, nous trouverons bien une façon de récupérer nos affaires, notre charrette et la statue d’Amos ! Avec Borth et Tywyn, nous disposons d’un compagnon redoutable…

— Ferme les yeux, Béorf…, demanda tendrement Médousa. Et ne les ouvre surtout pas !

Le gros garçon obéit sans poser de question.

Médousa déposa sur les lèvres de son ami un baiser qui le propulsa dans un état second.

— C’est tellement bon de te retrouver, lui dit-elle.

 

Le Masque de l'Ether
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